LA F1… C’ÉTAIT VRAIMENT MIEUX AVANT ? VA SAVOIR CHARLES !!!

« Donc maintenant tu regardes les courses à la télé ? » Un déjeuner tout récemment avec Gilles Gaignault, c’est comme ouvrir une vieille caisse à outils. Les souvenirs partagés de nos débuts, tels des outils, sont poussiéreux, parfois rouillés, un peu en vrac, mais ils sont tous là… dans nos mémoires ! Tour de France cycliste, Paris-Dakar, 24 Heures du Mans et surtout la Formule 1, celle du début des années 80. Dans l’équipe de Philippe Tesson au Quotidien de Paris, à 24 ans la vie est belle. Michel Demelin et Jean-Michel Saint-Ouen, me laissent vivre ma vie rêvée de Reporter. Ayant tâté de la course de motos et aussi plus violemment du bitume du circuit Bugatti au Mans, avant de rentrer à Moto-Journal que lançait Pierre Barret, je me sens légitime pour décrire les sports mécaniques. En fait, je ne sais pas du tout ce qui m’attend… Je découvre le quotidien des seigneurs de La vitesse, la  Formule1 des années 80, celle des machines hyper-puissantes mais fragiles, souvent pataudes et surtout dangereuses. Aujourd’hui plus de 40 ans plus tard, ce n’est plus au travers des baies entrouvertes des salles de presse parfois défraîchies que je regarde les courses, mais sur l’écran géant du salon, avec portes-fenêtres ouvertes sur l’avenue de Villiers à Paris. ‘IL faut que tout change pour que rien ne change’ assure Tancrède dans le Guépard de Visconti. Il n’a pas complètement tort car les sensations sont identiques même si tout a changé ! Lorsque, un à un, les cinq feux rouges s’éteignent, le rugissement des F1 provoque toujours cette même violente poussée d’adrénaline qui accompagne le lâché des fauves. Au fond de mon canapé comme autrefois dans les tribunes de presse, je retiens mon souffle, redoutant le premier freinage, le premier virage, le premier contact…  

 UNIVERS ULTRA SENSORIEL   

  Les souvenirs reviennent à flots. L’odeur âcre de la gomme dans les stands, les embrayages grillés, l’ambiance surchauffée des salles de presse. Un univers ultra-sensoriel. La formule 1, dans les années 80 , c’est une ambiance de sport de combat, de MMA. En comparaison, la F1 d’aujourd’hui, est bien plus aseptisée. Elle s’apparente plus à de l’escrime. A l’époque, les pilotes domptaient des monstres de puissance -sans trop de frein- aux tenues de route précaires, si ce n’est approximatives, alors qu’aujourd’hui la finesse des réglages, les millièmes de seconde, la subtilité de l’aérodynamisme, me laissent pantois. Voici quelques années, j’avais demandé à Alain Prost ce qui avait le plus changé depuis ses débuts ? « Tu sais, m’avait-il avoué, lui le taiseux, la F1 au fil des années s’est déshumanisée, ce n’est plus ce que tu as connu ». Il faut dire que pour de l’humain dans les années 80, il y avait de l’humain. A cette époque-là ? pilotes et journalistes prenaient souvent le même avion pour se rendre sur les Grands-Prix, surtout les plus éloignés. Et en plein vol, les galets des Boeing se transformaient parfois en salon des confidences et les journalistes allaient grignoter avec les mécanos sous les tentes des équipes, avant de les retrouver dans les stands.  

 SUJETS CALIBRÉS

  Aujourd’hui, d’avions privés en motor-home, journalistes et pilotes ne se croisent plus guère à l’exception des reporters des télés, bien entendu et de la fameuse journée média du jeudi, celle précédant les Grand-Prix où quelques sujets bien calibrés sur la vie privée. Dans les années 80 nous partagions quasiment l’intimité des pilotes, dormions dans les mêmes hôtels, prenant avec Gilles Gaignault nos petits déjeuners avec  eux, partageant parfois les mêmes navettes pour se rendre sur les circuits ! La proximité était telle qu’en 1981, j’ai pris quelques jours de vacances avec tous les pilotes francophones – entre les Grands-Prix du Brésil et d’Argentine. C’est dire. Dans le petit avion qui m’emmenait de Rio de Janeiro à Salvador da Bahia, j’ai retrouvé Laffite, Tambay, Jabouille, Prost, Arnoux, Pironi. Mais aussi Gilles Villeneuve, le père de Jacques. Un personnage timide aussi introverti dans la vie qu’il était expansif au volant. Sur le ferry qui nous transborda du continent sur l’île de nuit, Gilles s’approcha de moi, accoudé au bastingage, et pointant la voie lactée, me posa une question qui me hante encore : «Crois-tu aux étoiles ? » Voir le pilote Ferrari, ce demi-dieu de l’époque m’interroger, moi le post-adolescent me troubla. J’ai du bredouiller une banalité convoquant l’influence de la lune sur les marées, et donc l’éventualité que les étoiles influent sur nous. Près de 45 ans après, je regrette encore de ne pas lui avoir demandé pourquoi il m’avait posé cette question!  Oui, pourquoi ? Une voyante lui avait-elle prédit qu’il ne le serait pas sacré – il a trouvé la mort l’année suivante le 8 mai 1982 –  mais que son fils, lui le serait ? Je ne le saurai évidemment jamais. C’est la seule question que je regrette de n’avoir jamais posée… Cette proximité n’avait pas que du bon… Ainsi pendant ce même séjour, un bizutage en règle m’a valu de voir ma chambre totalement retournée, des tapis aux rideaux en passant par les chaussettes de ma valise. J’ai toujours soupçonné Jacques Laffite, le plus facétieux d’entre eux ? d’avoir mené ce raid-éclair. Gilles Gaignault me vengera quelques années plus tard à l’hôtel Fossati de Canonica, lors d’un GP d’Italie à Monza ! Ces vacances latino-américaines étaient trop longues pour Joanna, l’épouse Canadienne de Gilles Villeneuve qui se languissait de l’absence de ses enfants Jacques donc et Mélanie, – une jeune pianiste virtuose – qui vivaient à Monaco. Gilles remua ciel et terre pour trouver un hélico pour éviter le ferry et prendre le premier Concorde pour rejoindre au plus vite la France , car à l’époque il desservait outre New York, Mexico, et Sydney, donc Rio !

CROCODILE A LA SECONDE

  Mais la F1 d’avant, c’était aussi une histoire de crocodile pour évaluer l’espace entre les voitures. Je vous le jure. En fait, cela prend une seconde de dire le mot crocodile. Et plus il y avait de croco entre deux autos et plus l’espace grandissait. Autant dire que les écarts au millième de seconde d’aujourd’hui qui permettent de savoir en direct sur la gauche de l’écran de télé du salon si le 11ème reprend du terrain sur le 10^ème, était une notion bien abstraite. Presque aussi abstraite que les virages. En fait, quelque soit le circuit, les salles de presse de presse étaient toujours dans les lignes droites, donc il fallait ruser pour avoir une notion d’ensemble du circuit, alors qu’aujourd’hui, il y a plus de caméras sur une seule voiture que pour une finale de Coupe du monde de foot. Le téléspectateur a gagné ce que le journaliste de presse écrite semble avoir perdu… Le contact direct quasi-permanent du plumitif avec les pilotes et les écuries, n’est plus aussi évident qu’avant. En revanche tout est calibré pour la télé :  Le boulot fantastique de Canal +  pour la France permet de ne pas  manquer le moindre dérapage, rien ne peut échapper aux réalisateurs. La profusion d’infos, on sait à combien de centimètres du muret passe la roue arrière d’une auto, compense la vacuité des courses. IL faut l’avouer… il ne se passe plus grand’chose, en comparaison des courses  d’autrefois. Elles s’apparentaient aux courses de MotoGP d’aujourd’hui. Les pilotes entraient à trois de front dans un virage, et advienne que pourra. Les bagarres, aujourd’hui dans les stands, avec les fameux « undercuts», animaient tous les niveaux de la course. Les Grands-Prix étaient parfois des tragédies avec les explosions de moteurs trop fragiles et hélas les accidents qui engendraient des drames.

 PROGRÉS DE LA SECURITÉ…

  Les drames ont jalonné ce « temps des seigneurs », où le danger et la mort était toujours dans tous les esprits. Ainsi entre 1950, début du championnat du monde de F1 et 1994, date de la mort d’Ayrton Senna, 25 pilotes ont trouvé la mort pendant un week-end de course… Sans oublier Patrick Depailler à Hockenheim, Elio de Angelis au Castellet en essais privés ou encore Jim Clark, lui aussi également à Hockenheim dans une course de F2, alors l’antichambre de la F1. La sécurité a fort heureusement sacrément progressé à pas de géant depuis le drame d’Imola ayant couté la vie à Ayrton Senna. Car désormais, depuis un seul pilote, en 2014, le très regretté Jules Bianchi, le talentueux espoir dont la présence ne s’est toujours pas effacée dans le paddock, est mort quelques mois plus tard en juillet 2015, des suites de son accident lors du GP du Japon à Suzuka. Les progrès en matière de cellule de survie dans les voitures, les nouveaux accessoires apparus justement -tel que le Halo après l’accident de Jules – ont jalonné les années F1, et avant lui le Hans, ou encore l’appui-tête. Un effort permanent pour les éventuelles conséquences tragiques des inévitables sorties de piste. L’électronique est omniprésent dans les monoplaces aujourd’hui. On ne sait plus quelle part de pilotage  revient au pilote, à la voiture avec les accessoires, tels que l’anti-patinage, ou bien encore, à l’ingénieur sur le muret ! Dans les années 80, évidemment pas d’électronique à bord, des châssis en aluminium avec parfois un peu de titane, histoire d’alléger, totalement dépourvues d’assistance de pilotage, mais une communication minimaliste avec les stands. Généralement de grands signaux avec les bras que seul l’ingénieur voiture arrivait à déchiffrer, sans que de toutes façons il ne puisse faire quoique ce soit mais la télémétrie allait rapidement permettre l’ingérence des ingénieurs dans les autos.. Des voitures pataudes, pas faites pour tourner aussi vite qu’aujourd’hui, difficiles à conduire donc avec des leviers de vitesse qui massacraient les poignets des pilotes, et pourtant, autrefois les voitures allaient à peine moins vite… D’après mes  souvenirs, la vitesse maxi dans les années 80, était d’environ 350 km/h. Une performance réalisée en 1986, par Gerhard Berger lors des essais du GP d’Italie à Monza. La Benetton B186  -aux appuis aérodynamiques nuls était propulsée par le moteur BMW Turbo développait 1350 cv ! C’était le règne de la puissance essentiellement en ligne droite. Les McLaren TAG Porsche et les Williams Honda n’ont pas à ma connaissance, battu ce record à l’époque. Bien évidemment en course la vitesse était inférieure pour des raisons de fiabilité peut-être mais aussi de consommation d’essence. De nos jours, il me semble par exemple que Valtteri Bottas se soit offert un 378 km/h avec la Williams Mercedes en qualification lors du GP du Mexique en 2016, certes en altitude, avec l’utilisation du DRS. Désormais une Red Bull à Monza en 2023, dépassait … seulement, les 355 Km/h ! La comparaison des records du tour sur les rares circuits identiques est hallucinante, si ‘l’on garde en mémoire que la puissance n’est pas si différente. A Monaco , la pole-position en 1986 a été réalisée par  Alain Prost en 1’22.627 avec la Mc Laren TAG. En 2023, Max Verstapen, a signé la pole en 1’11.365 ! Soit une sacrée amélioration, tout de même… Sur les tracés « normaux » non dessinés, l’écart retombe entre 5 et 6 secondes entre les années 80 et les années 2020, en raison des incroyables efforts réalisés pour l’efficacité dans les virages. L’évolution de la réglementation technique m’ont privé d’un plaisir de mélomane car désormais les F1 font toutes le même bruit. Alors qu’avant, les sonorités étaient très différentes. Celles stridentes du 4 cylindres turbo des BMW, du petit 6 cylindres turbo des Renault par exemple qui a réjoui les spectateurs du Grand-Prix de F1 Historique. Sans oublier celles des V12 Ferrari, des dix-cylindres Honda-Mugen qui apparaîtra dans les années 90, ni non plus l’inoubliable V12 atmosphérique des Matra, puis des Ligier. Ni encore le V12, puis le V6 turbo des Ferrari. Bref une différence de bruits des moteurs qui auraient même pu permettre …à un aveugle de suivre la course ! Contrairement à la motorisation unique des V6 turbo hybrides de 1.6 l qui équipent encore les F1 cette saison. Au fil des décennies, la F1 a singulièrement évolué en augmentant drastiquement la sécurité des pilotes. En revanche, les dépassements sont inexistants et surtout on a bridé au fil des années, l’inventivité des ingénieurs qui autrefois pouvaient laisser libre cours à leur imagination. Et même au fond de son canapé, on regrette le temps de la liberté absolue des ingénieurs qui donnait dans les années 80 à la F1, son image de sport ultime. Les années ont passées mais au fond, malgré tout à chaque départ, la passion revient. Comme au premier jour de mon premier Grand-Prix.   Charles GAUTIER Photos / AUTONEWSINFO  

À PROPOS DE CHARLES GAUTIER

  Après ses débuts à Moto-Journal en 1977, il rejoint le Quotidien de Paris en 1980. Pendant quatre ans, il couvre les sports mécaniques notamment dont les Grands Prix de F1. Puis est engagé au Figaro, journal où il évolue vers les informations générales et enfin le service économie à partir 1994. Service économie pour couvrir notamment l’industrie automobile jusqu’en 2021.    ]]>